Je me demandais dernièrement quelle place le créole occupait vraiment dans ma vie. J'ai toujours revendiqué qu'il faisait partie intégrante de mon identité, et pourtant, j'ai parfois le sentiment de ne pas très bien le maîtriser. Ce que je veux dire, c'est que je suis capable d'entretenir des conversations entières en anglais, par exemple, sans avoir recours à une autre langue. Néanmoins, le jour où j'ai dû faire une interview entière en créole, les mots me manquaient. Ce jour-là, j'étais entouré d'autres créolophones, mais je me suis senti comme un imposteur. Comme si cette langue que j'avais si longtemps revendiquée n'était, en fin de compte, pas tout à fait mienne.
Quand vint le tour de mon amie haïtienne, Pam, de parler, je n'ai pu m'empêcher d'être en admiration en l'écoutant. Les mots coulaient de sa bouche avec tant d'aisance, de grâce, de profondeur. Un degré de profondeur que je n'avais jamais même imaginé atteindre avec mon propre créole. Ce jour-là, j'ai réalisé que le créole était mon langage familier, affectif, festif, mais en aucun cas mon langage professionnel. En aucun cas ne serait-il ma langue de choix pour être prise au sérieux devant une foule. Il n'avait pas cette valeur soutenue qu'avait toujours eue le français dans ma vie. Mais pourquoi ? Pourquoi ne pouvait-il pas lui aussi être une langue sexy et professionnelle ?
Cela venait sûrement du fait que j'ai grandi en entendant des choses du genre : "Kréyol sé lang a vié nèg", ou encore en grandissant avec la peur de parler cette langue interdite aux enfants, signifiant un manque de respect quelconque. J'ai souvent été rebelle, alors je l'ai quand même parlé quand les parents n'étaient pas là. Et le fait de faire partie d'une association culturelle où le créole était célébré m'a aussi beaucoup aidé à prendre de l'assurance et à m'exprimer. Mais je réalise maintenant que beaucoup d'autres jeunes de ma génération n'ont pas eu cette chance. Ils n'ont jamais pu avoir ce petit boost de confiance pour s'exprimer dans leur langue.
Alors, quand j'y pense, parfois je m'énerve un peu. J'ai l'impression qu'une partie de notre héritage a été dérobée. Mais je réalise ensuite qu'on a la chance de pouvoir changer les choses maintenant. Le créole est plus valorisé que jamais. Et j'espère qu'il trouvera, retrouvera sa valeur littéraire.
Pour ma part, j'ose rêver du jour où je m'exprimerai devant vous en créole, sur des sujets linguistiques ou autres qui me tiennent à cœur. En attendant, je transmets ce que je peux à ma fille, à travers des histoires, des chansons et des podcasts comme celui de Kofi qui nous rappelle la beauté de notre culture.
Ma fille est suisse, elle est française, mais elle est aussi GUADELOUPÉENNE.
Sur ce, Adan an dot soleil la fanmi
Je suis tombée sur un TEDx Talks à propos de la langue créole de Louisianne, appelée "Kouri Vini", et le travail de transmission de cet héritage. Tout de suite j'ai pensé à ton travail par ce forum et tous les points communs avec le créole de Antilles françaises. Bref, je partage le lien si certains sont curieux: https://youtu.be/fycMUbo281k?si=Jm8-o3UF5k7zQT88